Que l'Espagne ait dû lutter contre ce
lieu commun qui dit que chaque Espagnol porte en lui un germe clérical n'a rien
d'étonnant. C'est que la question cléricale a été une longue épine mortelle
dans notre développement historique. L'Eglise a pris l'habitude de convaincre
contre son gré la personne forcée de l'écouter. Ce n'est pas cela la religion.
Pratiquer une religion implique la liberté de vouloir être là, d'être convaincu
de ce que l'on croit, des doctrines, de l'esprit, de la philosophie de la
religion ainsi que de ses rites. De toute façon, on doit choisir au plus
profond, au plus intime de son être spirituel, de manière non négociable. Ce
n'est pas le cas du catholicisme qui chez nous s'est imposé contre notre
volonté et, au long des nombreux siècles, s'est chargé d'éduquer, de troubler
la formation de la personne. Et bien entendu, c'est
irréel et antinaturel. Pendant que dans le reste de l'Europe, on apprend à
lire, nous sommes restés, nous autres, sous le joug de la papauté. Quelle
injustice effroyable ! Alors que la
France , notre voisine, cultivait les idées des philosophes,
interdites chez nous, alors que les esprits se préparaient à
l'autodétermination ou à la révolution, nous étions toujours sous le joug
ecclésiastique qui fit souffrir tant de milliers d'âmes. L'exemple de Lamennais
est célèbre, ce grand philosophe et théologien dont la doctrine a encore des
adeptes aujourd'hui et reste étonnamment moderne. (Il est à l'origine de ce qu'on appelle en France, la séparation de
l'Eglise de l'Etat) Prenons un exemple, au XVIIème siècle, sur sept
millions et demi d'Espagnols, il y avait 500 000 prêtres et religieux, ce qui
faisait un pourcentage d'un religieux pour 14 Espagnols. Même si le peuple se
moque du pape, les rois et les gouvernants sont soumis au Vatican et lui
donnent une place qui demeure aujourd'hui, et le passage à un Etat laïc n'y a
pas changé grand chose, car la menace morale et inconsciente est toujours
présente et ce sont toujours les mêmes dirigeants cléricaux qui montent au
créneau pour donner leur opinion sur les décisions politiques du pays. Ils ont
même leurs programmes de tele et de radio qui sont très suivis et beaucoup de
responsables restent leurs vassaux. C'est une institution qui se nourrit à deux
titres. Non seulement ils reçoivent des bénéfices de l'Etat mais aussi de tous
ceux qui reçoivent une morale toute prête, tous ces pratiquants qui sans leur
dîme seraient sans doute exclus du salut éternel. Ils ont ainsi accumulé de
nombreux trésors.
Au XIXème siècle déjà, Victor Hugo
avait dit entre autres choses : "L'Espagne était le premier des peuples,
mais elle dut vivre à l'ombre de deux ennemis : le roi et le pape. Ce fut
mortel…" Malheureusement, ce n'est pas tout. Il faut voir comment ces
cléricaux ont transmis une fausse éducation, entendons-nous bien, transmis à
ceux qui ont eu l'occasion d'avoir une éducation. La tactique la plus fréquente
était l'hérésie. Tous les penseurs laïcs étaient des hérétiques et on ne
pouvait étudier que Saint Thomas d'Aquin et sa Somme Théologique. C'était la référence absolue et toutes les idées
des professeurs laïcs qui voulaient redresser la tête dans les universités
étaient haïes et détruites. Il y avait bien des manières de les exterminer. Une
éminence philosophique de l'époque, le père Albarado qui était ce qu'on
appelait à l'époque un "puits de science" assénait ce principe dans
une dissertation théologique : "Il vaut mieux se tromper avec Saint
Augustin et Saint Dominique que d'avoir raison avec Descartes." Tout était
dit.
Heureuse époque, paradigme pour une
société moderne conviviale, que celle où les musulmans, les juifs et les
chrétiens se tenaient la main et pouvaient partager leurs connaissances, chacun
dans son domaine. Quelle leçon que celle de nos ancêtres qui avaient réussi à
faire un pays inégalable, sage et cultivé. Le caractère national, libre de
toute entrave fanatique, caracolait en tête du monde industriel avec ses
fabriques de cuirs, de laine et de soie.
Sur le plan agricole, la spécialité des laboureurs infidèles transformait les
plaines de Valence, de Murcie et de Grenade, en jardins. Intellectuellement,
les chrétiens de toute l'Europe accouraient à la fameuse école de Cordoue pour
entendre des lèvres des maitres sarrasins, les restes du savoir grec, quasiment
disparu sous le flot de la barbarie esthétique arrivé à l’époque.
Jovellanos ou notre Baltasar Gracian
qui, à l'époque et dans l'actualité française aujourd'hui encore, étaient
considérés comme des penseurs de tout premier plan, sont tombés dans l'oubli
dans un pays où la chasse à l'hérétique s'était convertie en une priorité pour
les persécuteurs. A partir de ce moment-là, tout, absolument tout était
condamnable et on torturait tout le monde. Le Tribunal de l'Inquisition : une
honte nationale, unique, bestial, satanique, inhumain. Il a torturé des
milliers de gens, ayant recours aux pires méthodes que seuls des esprits
"spirituels" pouvaient proposer comme moyens d'extermination. Encore
aujourd'hui, le Pape évoque le satanisme de la pédérastie pratiquée par ses
partisans qui désormais ne peuvent plus se cacher. Mais, l'horreur est là. Qui
peut racheter tout ce qui a été fait ?
Traduit par Daniel Gautier.
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